paris, 1994 // naissance d'un petit garçon aux yeux bridés dans la plus belle ville de france. un enfant tant attendu, et même s'il n'est pas très beau, sale parce qu'il est couvert de liquide amniotique et qu'il pleure beaucoup pour avaler ses premières bouffées d'oxygène. cadeau du ciel ou cadeau empoisonné, peu importe, sa petite voix donne le sourire à la famille jo qui accueillait alors leur premier et unique fils. un peu de bonheur qui ne dure que quelques semaines avant que le train train quotidien ne reprenne ; le restaurant à faire tourner, une bouche de plus à nourrir... dans cette grande ville où tout est bien trop cher. à l'école, au début c'était la bonne époque, c'était un véritable élève modèle : petit garçon qui voulait rendre fier son père en échange d'amour et de complicité.  même si parfois c'était dur d'être le seul petit bridé de sa classe et de subir les remarques des autres. ouais ils étaient normaux, eux? lui c'était le son goku, l'attraction. m'enfin, au moins, il était le seul à parler correctement français à la maison, alors au fur et à mesure du temps, il se sentait utile, il avait l'impression que ça ne servait pas à rien. il encaissait les remarques de ses amis, parfois c'était lourd, les clichés, les blagues. mais qu'importe : si lui n'aimait pas vivre ici, ses parents n'étaient pas riches mais semblaient heureux. alors dès qu'il a pu, il a commencé à aider au restaurant. ouais, il complétait le cliché mais tant pis, avec deux bras en plus, son père pouvait enfin dormir un peu.

quand j'vois mon père, j'ai rien à lui dire j'aimerais juste l'prendre dans mes bras ou peut-être que j'ai trop à lui dire, mais trop de pudeur. j'l'ai jamais vu s'plaindre, même quand il travaillait jusqu'à plus d'heure. et dieu m'est témoin, mon père c'est mon exemple, j'met les bouchées double, fidèle au bushido.

paris, 2008 // un accident. quel fléau. lorsque le malheur toucha sa famille pour une énième fois, c'était son père qui en fut la cible ; la faucheuse n'a pas frappé mais il allait se retrouver alité plusieurs mois consécutifs. s'il avait encore des bonnes notes à ce moment de sa vie, cette fois tout s'effondra. son père était souvent hospitalisé, l'école passait souvent après. il était absent huit fois sur dix. il aidait sa mère avec le restaurant juste pour parvenir à maintenir les deux bouts, alors non, pas le temps d'aller à l'école ; les soin médicaux à payer, le début des dettes. et la culpabilité d'un père qui veut travailler malgré tout. alors tout dégringole pendant deux ans, l'enfer. et il traîne avec la vermine parisienne et il fini par cogner dans l'illicite, pas longtemps mais juste assez pour se faire du mal. et même quand son père arrive au stade de la rééducation, qu'il s'améliore et qu'il se remet à marcher ça ne suffit pas ; la chute est longue pour le petit garçon mais il verra finalement la lumière au bout du tunnel tôt ou tard.

ma mère m'a dit : "les enfants gâtés sont des petits garçons tristes", et c'est maintenant que j'aperçois ces vérités. j'remercierai jamais assez maman pour sa sévérité, ça c'est d'l'amour, grâce à elle, j'me contente de peu ; un coucher de soleil et je contemple dieu. j'me souviens qu'à cette époque je t'aimais tellement que je cassais tes clopes.

paris, 2014 sa mère découvre la vérité, puis son père. il le sait, il les a grandement déçus ; il a foiré sa vie, traîné avec les mauvaises personnes au dépens de ses vrais amis qu'il a abandonné, échoué ses études et plongé dans l'enfer de la facilité. mais il n'est jamais trop tard et ses parents décident de tout faire pour le sortir de là ; quitte à s'endetter encore plus. devenu le fardeau alors qu'il voulait être le sauveur, il s'est perdu encore un an avant de finalement entendre la délivrance en trois mots : la corée du sud. aller chez sa grand-mère, s'occuper d'elle. au début ça ne l'enchantait pas, ça le faisait même plutôt chier ; il n'avait du coréen que les yeux bridés et son teint foncé. et c'est une fois dans l'avion qu'il cogite mais maintenant avec le recul c'est sans doute la meilleure décision qu'il n'ai jamais prit. il avait un but et son lien avec sa grand-mère, il n'aurait jamais imaginé qu'il aurait pu devenir si puissant en quelques mois. elle lui mettra du plomb dans la tête. et il s'en sortira après être tombé plusieurs fois ; elle était toujours là pour l'aider à cicatriser.

nekketsu, ça veut dire : sang bouillant. j'relève la visière de ma casquette, la lune est rougeoyante. les défis se présentent à toi pour que tu tentes, pourquoi cours-tu tant ? le destin t'accorde une danse. moi j'écrivais mes textes en classe, le temps du cours j'inversais le cours du temps.

séoul, 2020 finalement le voilà ; sorti indemne, il a de la chance. il a son propre petit appartement, il se débrouille tout seul. il prend la vie comme elle vient avec le sourire, même s'il n'est pas toujours très vrai. la musique, son talent et rien d'autre. sa grand-mère repose dans une maison de retraite, elle le soutient ; ses parents restés à paris lui manquent énormément mais il peut les voir chaque jours sur l'ordinateur, parfois ils font le voyage paris-séoul pour le voir. c'est rare mais ça rend les moments inoubliables. et c'est comme ça qu'il s'en sort ; il a quelques amis et plus de conneries, du moins... en apparence ; il cherche toujours une raison d'exister et lutte toujours contre ses envies de se laisser crever à petit feu.