(( flipping pages, @No Shen ))  — Shen et moi ne nous connaissions pas depuis longtemps. Nous nous voyions encore moins, depuis le début de l’émission, et je devais bien avouer que j’avais parfois peur que ce simple fait vienne entacher notre amitié naissante. Je n’avais jamais compris pourquoi mon frère était parti aussi soudainement, ni pourquoi il ne prenait jamais la peine de me donner de ses nouvelles. Je savais juste qu’il était là-bas, quelque part, et qu’un jour, si l’occasion se présentait, j’irais le rejoindre pour découvrir la façon dont il vivait désormais. En attendant, j’avais dû me faire d’autres amis, les anciens se contentant généralement de me répéter des choses insensées au sujet de Jinyoung, des choses qui, s’ils avaient un minimum connu mon frère jumeau, leur aurait paru totalement absurdes. Mais évidemment, personne ne le connaissait aussi bien que moi.

Alors, j’avais construit de nouvelles habitudes, bâti de nouvelles relations et, aujourd’hui, j’allais rendre visite à Shen à la résidence où il vivait. Je savais que les caméras seraient présentes autour de lui, c’était une chose à laquelle je m’étais préparé. Avec un peu de chance, cela serait une chance pour moi d’être vu également, de m’approcher un peu de la personne que j’avais le plus envie de rencontrer, parmi tous les participants. Pour cela, hélas, il me fallait encore un peu d’argent. Je ne savais même pas ce que j’allais lui dire, quand j’allais la voir enfin. Mais ce n’était pas le moment de songer à tout ça.

Je franchi les portes un peu avant l’heure convenue, cherchant du regard Shen, sans savoir s’il était déjà présent. L’idée de se voir dans un café librairie m’enchantait tout simplement. Ne voyant pas mon ami, je cherchai une table pour m’installer, sans oublier de trouver un peu de lecture en l’attendant. Mon dévolu se porta sur une pièce : le très connu Roméo et Juliette. Cela allait vite à lire, c’était riche en émotion, tout à fait ce dont j’avais besoin.

(( flipping pages, @park jin hwan ))  — tenue, à droite _  Des rencontres, certaines plus passagères et d'autres qui s'inscrivent dans le temps. Le temps qui passe vite. Voilà déjà quelques temps que tu as quitté ta terre natale pour les origines qui coulent dans tes veines. Que tu as laissé ton camion garé dans un coin paumé pour emménager dans une colocation filmée.

Les caméras, après avoir fait le tour des angles morts tu as fini par t'y habituer. A t'amuser avec elles. Tu t'adresses à elles, toujours de bon conseils. « Bonjour, gens derrière ta télé, conseil n°24: ne laisse pas l'eau couler quand tu te laves tes petites caries parce que t'as trop peur du dentiste. A demain pour le conseil n°25. » Un signe de la main en guise d'au revoir et ta paume qui se rapproche de ta bouche en cœur pour envoyer un baiser vers la vitre que tu finis par embuer.
Les nourrir aussi. Les baguettes entre les doigts dirigées vers les caméras. « Tiens, un peu de gingembre au goûter. Tu connais ses bienfaits ? Non ? Alors rendez-vous au conseil n°32. Spoiler alert, il aide notamment à combattre la fatigue pour être frais comme un gardon. Bon appétit. » Tu donnes l'air de parler tout seul mais communiquer avec les téléspectateurs c'est tout un art.
Lire des livres, également. « Il eut soudain le sentiment qu'il pouvait regarder le monde soit comme la malheureuse victime d'un voleur, soit comme un aventurier en quête d'un trésor. » Tu marques un pause.  Inspire, expire. . « C'est de toute beauté, non ? » C'est que la culture doit être accessible selon toi, alors tu tentes. Tu t'endors avant la fin de tes chapitres, en plein milieu d'une phrase, tu sais que les caméras ne diffusent pas parce qu'au confessionnal et bien ça se confesse.

Une rencontre que le temps n'efface pas. Park Jin Hwan. Un rendez-vous au café. Cette librairie où t'emprunte tes livres pour les partager. Ce café librairie où t'oublies de les rendre aussi. Tu bouges, du mouvement, les caméra te suivent. « On se calme, j'vais juste voir un ami. Prenez une pause. Non ? Bon tant pis. » Tu descends. Bien content de le revoir, sourire aux lèvres. Il est déjà là ton copain Séoulite. T'as le retard qui coule dans les veines, en d'autres termes t'as jamais compris comment se pointer à l'heure. T'as beau essayer mais quand ça veut pas, ça veut pas. « Roméo et Juliette. Aaah ouais je devrais peut être lire du théâtre de temps en temps. Ouais carrément. Au fait, salut, j'suis désolé de t'les imposer ceux là. » Tu pointes les caméra-man du doigts. Tu t'installes. « Au fait j'invite, tu veux quoi ? T'as pas attendu trop longtemps ? Oh comme j'suis content de te revoir l'ami. »

(( flipping pages, @No Shen ))  — Je n’étais pas encore habitué à la présence des caméras, quand je rendais visite à Shen. J’avais essayé de me dire que ce n’était pas important, de les voir comme une partie du décor, mais elles me faisaient un peu peur. Sans elles, pourtant, j’aurais été incapable d’assister à cette émission que je suivais si régulièrement. Un grand malheur. Pour cette raison, je fus un peu tendu en voyant arriver Shen, avec les caméras qui le suivaient toujours. Un sourire, au cas où mon visage aurait pu passer à l’écran, et un léger rire même, quand j’entendis la remarque de Shen au sujet de mon choix de lecture. « Tu devrais, c’est intéressant. Surtout Shakespeare. » Ancien, mais encore tellement actuel. C’était là tout le théâtre de cette époque et de cette partie du monde. Une autre partie du monde. Je n’aurais pas imaginé que ces gens pouvaient vivre aussi différemment de nous. Je me demandais d’ailleurs si Jinyoung vivait comme cela, lui aussi… Sûrement pas. Les américains avaient un mode de vie bien différent du nôtre.

Tout ce que je souhaitais, c’était son bonheur.

Sans perdre mon éternel sourire, je secouai la tête. « Ce n’est pas grave, ne t’en fais pas ! » Je fis un geste de la main pour appuyer mes mots, avant d’essayer d’oublier les caméras à nouveau. Elles n’étaient pas là pour moi, de toute façon. « Oh ? C’est gentil ! Je veux bien un cappuccino, s’il te plaît. » La joie qui m’emplit en l’entendant était sans nom. On m’appelait l’ami, on m’invitait. C’était un honneur pour moi. « Non, je viens d’arriver, j’ai à peine pu lire quelques pages. » dis-je en souriant, tapotant du bout des doigts sur le livre que j’ai posé à côté de nous. « Et toi, tu passes une bonne journée ? » Je me demandai alors si avoir les caméras derrière lui à longueur de journée n’était pas fatiguant. D’un autre côté, Shen était une personne particulière, mais je l’appréciais beaucoup. Peut-être trouvait-il cela tout à fait normal, d’être espionné en permanence par ces yeux mécaniques.

(( flipping pages, @park jin hwan ))  — tenue, à droite _  Les livres c'est depuis toujours que tu prends plaisir à les lire. Au premier regard, celui des premières apparences celles qui sont trompeuses, le plus souvent tu es perçu comme spécial. Faut quand même bien avouer que surprendre les gens tu en fais ta  première spécialité. Pourtant au deuxième coup d’œil après quelques coups payés, des mots échangés éclate la vérité vraie. On peut n'pas adhérer à tes pensées; à ce raisonnement dont toi seul à le secret. On peut t'prendre pour un gars perché, qui abuse des tarpets; certes mais on ne peut pas dire que tu n'es pas cultivé. Depuis déjà tout petit tu cultives le savoir, il germe d'années en années dans le jardin potager qu'est devenu ta boite crânienne. Ce savoir plein la matière grise c'est pas à coup de clichés qu'on peut nier. Ta deuxième spécialité laisser bouche bée, les mots coincés dans le gosier ceux qui trop vite ton jugé.

Alors quand tu eu vent de la présence d'un café librairie au sein de la maison mercurienne tu as fait la danse de la joie accompagnée d'une danse de l'amitié car ici tu peux les retrouver tes amis. Et voilà qu'aujourd'hui tu retrouves Jin Jin, surnom que tu utilises parfois, sûrement à son plus grand désarroi. Tu t'excuses pour la présence des caméras, heureusement il te dit de ne pas t'en faire. « C'juste que j'veux pas te mettre dans une situation inconfortable. Si tu dis qu'ça va alors ça va. » Un sourire et à peine assis tu te relèves, pour commander; les boissons sur la table, les fesses à nouveau sur la chaise. Les jambes allongées sur le côté de sorte à ne pas gêner, les pieds croisés; à l'aise. « Oui, bonne journée parce que tu vois, j'suis bien content de te voir là. » Et t'es sincère. Loin de tout savoir sur lui, une amitié qui se compte pas en année mais il est là; à subir des caméras. « Et toi comment tu vas ? » Franchement tu joues à l'autruche avec ces dispositifs pour filmer, s'il va mal il le dira pas à la Corée mais toi tu t'dis que les ondes tu les percevra. « J'vais faire l'égocentrique à parler de moi mais j'ai besoin de savoir. Ils coupent mes lectures à l'écran où ça passe genre tard dans la soirée ? Non parce que si on peut me voir la prochaine fois j'te dédicace Shakespeare. » Et tu lèves ton verre de thé pour trinquer. Changement de sujet. « J'vais pas t'faire dire des trucs devant les caméras mais comment tu les perçois mes colocataires d'puis chez toi ?  » C'est presque si tu chuchoterais pas pour intimiser tout ça.

(( flipping pages, @No Shen ))  — Le comportement de Shen ne m’avait jamais dérangé, bien que j’aie pu comprendre plus ou moins directement, en regardant l’émission et ce que les gens en pensaient, qu’ils le prenaient pour un drôle d’oiseau. Il était un peu comme moi, pour ça. On me prenait, moi aussi, pour quelqu’un d’étrange. Certains m’avaient même déjà traité de malade mental, avant d’affirmer que je croyais en des choses complètement folles… Je n’avais pas vraiment compris pourquoi, et je ne cherchais plus à le savoir : certaines personnes étaient biaisées dans leurs opinions et refusaient d’accepter qu’on puisse penser différemment d’elles. Ce n’était pas ma faute, si j’avais la conviction intime que mon frère était là-bas, de l’autre côté de l’océan, occupé à vivre sa vie, alors qu’ils pensaient le contraire. Ils avaient beau me répéter le contraire, je refusais de les écouter. Ce n’étaient que des bêtises.

« Oui oui, ne t’en fais pas ! » répétai-je avant de le laisser commander. Un sourire béat étira mes lèvres alors que je reposais les yeux sur Shen. « Je vais très bien ! Ça me fait plaisir d’être là aussi. » Sans le lâcher des yeux, j’eus un léger rire, avant de répondre d’une voix un peu désolée. « Ah, je n’en sais rien du tout, ils passent peut-être ça pendant mes heures de travail. » Et oui, mes horaires étaient souvent assez lourds. Après tout, je ne travaillais pas à Starbucks en tant qu’étudiant, et j’avais besoin d’avoir un salaire assez élevé pour payer mon loyer et continuer à vivre décemment, je ne pouvais pas me permettre d’être en congé les trois quarts du temps… « Ah euh… » Mon regard se figea un instant sur Shen, quand je réalisai que j’avais très mal retenu le nom de ses colocataires. « Ils ont l’air sympa ! » Mais était-ce vraiment ce qu’il attendait que je réponde ? J’eus un instant de doute, regardant les caméras qui le filmaient lui, pas moi. « Tu t’entends pas avec eux ? » avais-je finalement demandé. Loin de moi l’idée de le mettre mal à l’aise, mais nous étions amis, alors il était sûrement à même de se confier à moi, si quelque chose n’allait pas.